La Croix et l'Algorithme.

Episode n°4Episode n°2
La France, l’une des filles
modèles de l'Église
Prêtre ou non, chacun peut partager sa foi sur les réseaux sociaux. Craignant un capharnaüm numérique, la Conférence des Évêques de France a créé un pôle dédié aux influenceurs. Une approche quasi-inédite dans le monde, mais « hors de question de devenir leur patron ».
Episode n°3
C

omment devenir influenceur chrétien ?

Rien de plus simple, prenez un portable, un micro, deux lumières et le tour est joué. Le plateau de tournage de Victor, alias le Catho de service se résume au bureau de son petit appartement parisien à deux pas de la place de la République. Porté par ses études de théâtre aux Cours Florent, le jeune de 23 ans est en improvisation complète. Sourire aux lèvres, mèche brune bien en place et yeux bleus plongés dans l'objectif, la prochaine vidéo est exécutée en une heure montre en main.

omment devenir influenceur chrétien ? Rien de plus simple, prenez un portable, un

micro, deux lumières et le tour est joué.  Le plateau de tournage de Victor, alias le Catho de service, se résume au bureau de son petit appartement parisien, à deux pas de la place de la République. Porté par ses études de théâtre aux Cours Florent, le jeune de 23 ans est en improvisation complète. Sourire aux lèvres, mèche brune bien en place et yeux bleus plongés dans l'objectif, la prochaine vidéo est exécutée en une heure montre en main. 

Trois ans après sa première vidéo, son aisance ne fait aucun doute. Caméra allumée ou éteinte, le timbre enjoué de sa voix ne change pas d'un iota, son assurance non plus. Son reels sera bientôt vu par plusieurs milliers de personnes,  le tout sans bouger de chez lui. Cette accessibilité offre à tout le monde la possibilité de répondre aux appels pontificaux à évangéliser le continent numérique (voir l'épisode 1). 

Prêtre ou ne pas être

Pas besoin d’être un prêtre ordonné pour devenir une référence dans le milieu. Le Catho de Service est laïc et s'est lancé un peu au hasard, poussé par une amie. « Elle m’a dit “Si tu parles tellement souvent de Dieu aux gens autour de toi, pourquoi ne pas en faire des vidéos sur YouTube et sur les réseaux sociaux ?" ». Bingo. Il suffit d’un coup de gueule sur YouTube face à la fermeture des églises durant le confinement en novembre 2020. Visionnée par 100 000 personnes en 48 heures, sa vidéo a succès lui accorde une légitimité pour parler de la religion. 

Pour Robert Scholtus, curé de l'église Saint-Maximin de Metz, ce n'est pas un problème. « L'Église n'est pas propriétaire de la foi », énonce-t-il. Cependant, cette légitimité entraîne une responsabilité pas forcément assumée par les influenceurs à ses yeux. « Tout le monde a le droit de parler de tout, mais la question, c'est de ne pas transformer ce qu'on pense en vérité absolue. » En effet, les influenceurs sont des électrons plus ou moins libres qui incarnent la parole de leur confession aux yeux de leurs adeptes. Une incarnation controversée qui révèle les paradoxes de la pratique.

« Le problème qu’ils peuvent avoir, c’est d’être ivre de leur image. » lance Renaud Laby, prêtre au diocèse du Mans et diplômé de deux masters en sciences sociales des religions et de théologie. « La crainte c'est que le message disparaisse dans la personnalité de celui qui l'annonce. On tombe dans l'abus de confiance, l'autoritarisme » complète Robert Scholtus. D'ailleurs, le jargon de l'influence est souvent rejeté en bloc par les concernés, à l'instar du Père Aymar de Langautier. Le prêtre toulousain repousse toute idée d'avoir une communauté à lui, « un truc de youtubeur » selon lui. Même son de cloche pour Victor : « Moi je veux juste encourager à la foi. J'ai pas influencé la foi de qui que ce soit, je ne veux pas les manipuler ». 

À l'inverse, Frère Paul Adrien d'Hardemare mise totalement sur cet esprit communautaire. Il a créé un serveur Discord L'Amour vaincra rejoint, depuis son lancement en 2021, par 7 112 membres. Un endroit « fait pour ceux qui découvrent Jésus et la foi et ceux qui veulent les y aider. » On y pratique la prière à 20 heures comme on y partage des vidéos de memes chrétiens. La communauté a aussi créé un système de mentorat pour accompagner les nouveaux arrivants.

Le déclic de la CEF

Si l'influence catholique s'est construite autour d'individualités (voir épisode 1), c'est parce que la Conférence des évêques de France est restée hermétique au sujet d'Internet. Alors Youtubeurs, influenceurs et startupeurs, n’ont pas attendu l’aval de l’institution pour faire passer la foi des fidèles à l’heure du numérique. L'institution change de cap lors de l’annonce du synode* en avril 2022. « Nous nous sommes aperçu que l’on avait raté la coche chez les jeunes » avoue Pierre Yves Peurois, ancien membre du pôle éditorial des réseaux sociaux devenu responsable du pôle médias influenceurs de la CEF. « Comment leur expliquer le synode ? », alors que la jeunesse ne participe pas aux consultations dans leurs paroisses. La réponse vient finalement d’une collaboration avec le Frère Paul Adrien d’Hardemare afin d'en expliquer l'enjeu à sa jeune audience.

Quatre mois plus tard, le haut clergé réagit et décide de formaliser cette nouvelle entente. Le pôle médias et influenceurs est créé, avec à sa tête le jeune communicant, épaulé par deux personnes. Ses nouvelles fonctions : relayer les messages clés et la vision de l’Église de France incarnée par la CEF, auprès des leaders d’opinion et entretenir une relation de confiance avec les journalistes et les influenceurs. Pour les hauts-dignitaires, hors de question de contrôler l'action des influenceurs qu'elle voit d'un bon œil. « Ils ne travaillent pas pour nous, mais avec nous » résume Pierre Yves Peurois.

La conférence des évêques de France s'imagine plutôt dans un rôle d'accompagnatrice. « Si jamais il y a un gros événement, par exemple la mort de Benoît XVI, il nous a envoyé par mail plein de documents, de sources sur sa vie, son pontificat, si jamais ça peut nous être utile pour des vidéos » décrit le Catho de service, qui ne montre pas un enthousiasme débordant pour la proposition. Récemment, la CEF a aussi soutenu la création de la plateforme ThéoStream (voir épisode 2), donnant son avis sur les associations mises en avant sur le site selon le Journal du Dimanche.   

La Conférence des Evêques de France, une assemblée d'environ 120 évêques.

Les experts restent sceptiques vis-à-vis de ce laissez-faire apparent. « La Conférence des Évêques essaie de rattraper son retard pour voir quels profits ils peuvent tirer de ces acteurs » note Timothée de Rauglaudre. Voilà pourquoi elle a accepté d'accueillir la Nuit des influenceurs dans ses locaux : montrer sa présence, sans pour autant en être à l’initiative. Pour le prêtre manceauest évident, la liberté laissée aux influenceurs est un choix par défaut. « Je crois qu'elle en est un peu mortifiée parce que l'Église catholique est une institution de contrôle qui existe, pour une part, par le contrôle. »

Elle a beau soigner ses relations avec les influenceurs catholiques, la mission de Pierre Yves Peurois est de sortir du carcan de cette niche en nouant des liens avec des figures plus globales. « On vise les Tibo Inshape, qui ont déjà fait du contenu sur la religion, ou des Hugo Décrypte, deux youtubeurs extrêmement populaires auprès des jeunes. Ils ont une audience qu'on a du mal à toucher. » 

« La France est plus avancée »

Si l'institution sort tout juste de sa grotte en France, elle peut presque être considérée comme en avance sur la plupart de ses homologues à l'international. En bonne représentante de la fille aînée de l'Église catholique, la CEF est, à notre connaissance, la première à se doter d'un pôle consacré aux influenceurs en tant que tel. Novak Chistoph, co-leader d'un projet de recherche autrichien sur la pratique religieuse en ligne des jeunes, constate le retard pris par les pays germanophones par rapport à la France. « Il n’y a pas d’échanges directs avec les comptes de jeunesse catholique et les influenceurs. Les diocèses sont passifs sur Instagram ». Comme un symbole, la question de la rémunération des influenceurs ne se pose pas outre-Rhin. « Il n’y a pas ce genre de débat en Autriche. La France est plus avancée à ce niveau et ils peuvent générer de l’argent donc il y a plus de critiques » explique le sociologue. 

Une fois n'est pas coutume, les Américains ont tout de même flairé le bon filon avant l'Europe. Certaines des églises qui constellent les 50 états du pays ont installé des équipes entières, parfois d'une demi-douzaines de personnes, qui sont entièrement dédiées à la production de contenu numérique (voir épisode 2). De fait, leur succès est autrement plus important sur les réseaux sociaux. Les États-Unis s'appuient sur une culture de l'influence bâtie depuis l'apparition des pasteurs évangéliques à la télévision. Le plus grand d'entre eux sur Internet, le Texan Bishop Jakes, est suivi par plus de 5.8 millions de personnes sur Instagram. 

En Espagne aussi, les projets fourmillent sur les réseaux sociaux. Un des fers de lance est iMisión, une plateforme en ligne de formation pour évangéliser Internet. Le tout grâce à des cours payants ou gratuits assurés par la crème des influenceurs catholiques espagnols. Pour 29,99 €, ceux qui souhaitent diffuser leur bonne parole sur YouTube reçoivent les conseils du Père Daniel Pajuelo, alias Smdani, fort de ses 1,2 millions d’abonnés. Avec la Sœur Xiskya Valladares, 448 000 abonnés TikTok, ce dernier est le fondateur d’iMisión. Là aussi, laïcs comme religieux sont encouragés à investir le web par une Église qui souhaite que ses prêtres soient des « influenceurs du divin », selon les mots de Francisco Cerro, archevêque de Tolède. 

Capture d'écran du site iMisión.

Même si l'activité de ces influenceurs religieux porte ses premiers fruits en France et en Europe, l'Eldorado se trouve bien dans les Amériques. Avec un terreau de 123 millions d'adeptes à exploiter, les Brésiliens ont une audience sans commune mesure dans le reste du monde. Les quatre plus grands influenceurs du monde sont brésiliens et c'est le prêtre-chanteur Fabio de Melo et ses 25.8 millions d'abonnés qui mène la danse. Pourtant, ils ne sont pas plus organisés que la France, à peine un an d'avance. En décembre 2021 s'est déroulé le premier Igreijeiro, une Nuit des influenceurs de leur cru. Là-bas, Frère Paul-Adrien d'Hardemare est remplacé par Math dans le rôle du rassembleur. Tandis que la soirée a été parrainée et couverte par AgenciaB16, une agence de communication catholique. Cette dernière a aussi participé à la création du compte Instagram commun des 25 influenceurs brésiliens, à l’image du compte français Vis ton Carême ! (voir épisode 2). 

Au Mexique, une cinquantaine d'influenceurs a bénéficié de 5 jours de formation en août 2022 durant lesquels le Pape François y est même intervenu, en vidéo, afin de les conseiller. Un événement encore loin de se produire sur le Vieux Continent, en retard comparé à ses homologues américains. Avec en tête de file la France, l'Europe tente de copier les méthodes de l'étranger pour se mettre à la page, mais le chemin est encore long.

Père Aymar de Langautier
Ni Youtubeur, ni influenceur
Renaud Laby
Celui qui n'y croit pas
Le Catho de service
Influenceur pour débutants
Pierre Yves Peurois
Responsable pôle Médias
& Influenceurs de la CEF
Frère Paul Adrien
d'Hardemare

Le Squeezie des cathos
Timothée de Rauglaudre
Journaliste d’enquête sur la religion
*Synode : assemblée consultative convoquée par le Pape afin de consulter les fidèles et rédiger un rapport
Robert Scholtus
Le curé du minitel
Episode n°4Episode n°2