
À la conquête
du continent numérique
influenceurs, 30 journalistes, 4 partenariats, 1 seul seigneur. »
influenceurs, 30 journalistes, 4 partenariats, 1 seul seigneur. » C'est une drôle
de cène qui s'est déroulée dans l'amphithéâtre de la Conférence des évêques de France (CEF) le 23 septembre 2022. En lieu et place de Jésus et de ses douze apôtres, tout le gratin des influenceurs catholiques s’était réuni, téléphone à la main et vidéos promotionnelles en tête, pour un événement de networking géant : La Nuit des Influenceurs catholiques. Aux manettes, l'incontournable Frère Paul-Adrien d'Hardemare qui a réuni tout ce beau monde. L'objectif de l'évènement : réunir physiquement pour la première fois tous ces acteurs et ancrer dans la réalité leurs liens qui n'étaient que virtuels. Mais aussi montrer le visage d'une église jeune et connectée.
C'est une drôle de cène qui s'est déroulée dans l'amphithéâtre de la Conférence des évêques de France (CEF) le 23 septembre 2022. En lieu et place de Jésus et de ses douze apôtres, tout le gratin des influenceurs catholiques s’était réuni, téléphone à la main et vidéos promotionnelles en tête, pour un événement de networking géant : « La Nuit des Influenceurs catholiques ». Aux manettes, l'incontournable frère Paul-Adrien d'Hardemare qui a réuni tout ce beau monde. L'objectif de l'évènement : réunir physiquement pour la première fois tous ces acteurs et ancrer dans la réalité leurs liens qui n'étaient que virtuels. Mais aussi montrer le visage d'une église jeune et connectée.
Un réseau pour le Royaume de Dieu
De cette soirée est né le Réseau Acutis*, rassemblant, pour l’instant, 27 influenceurs catholiques. « Comme on travaille tous pour "Le royaume de Dieu" on se regroupe raconte Victor, alias le Catho de service. C'est mieux quand même d'avoir un mouvement d'évangélisation plutôt que plein de chaînes particulières ». Prenant la forme d'un groupe Discord et Instagram, ce réseau tout juste naissant vient de poser sa première pierre pour le carême de cette année. Ainsi les 27 confères proposent un compte commun, Vis ton carême, pour faire vivre la fête sainte à leur communauté, chacun tournant une à plusieurs vidéos pour ce mois de jeûne.
Pour l'instant, ce premier projet n'est pas complètement réussi sur le plan comptable, avec moins de 2 000 abonnés au compteur. Pour autant, le Catho de service l'assure, ils ne sont pas là que pour faire des vues : « Si jamais ça prend une plus grande ampleur tant mieux, mais l'idée de base c'est simplement d'être ensemble parce qu'on habite un peu partout. »
Pour faire partie de ce groupe comme de la soirée à la CEF, trois critères entrent en jeu : avoir plus de 1 000 abonnés, ne parler que de religion et enfin être fidèle à la doctrine. Une troisième case à cocher suffisante pour laisser le Père Matthieu à la porte, pourtant le premier influenceur du milieu avec ses 1,1 millions d'abonnés sur TikTok. « Clairement moi j'y ai vu une référence à Père Matthieu puisque c'était ce qui lui avait été reproché » analyse Timothée de Rauglaudre, journaliste indépendant spécialisé dans la religion.
Le prêtre de Joigny se distingue de ses confrères en tenant des propos controversés voire polémiques du point de vue religieux. La dernière esclandre en date remonte à juin 2022. Dans une vidéo où il affirmait que le diable n'existe pas comme entité extérieure à l'homme, là où Le Catéchisme en parle comme d'une créature. Avant ça, il avait fait exploser la cathosphère en affirmant dans diverses vidéos que la Bible et Le Catéchisme de l'Église catholique ne déclare pas l'homosexualité comme un péché.
De quoi déclencher un déluge d'indignations à tous les niveaux. Sur Youtube, le Frère Paul Adrien d’Hardemare consacrait une vidéo de près de 10 minutes pour inciter le Père Matthieu à enlever et refaire ses vidéos, tout en rappelant que « l’acte homosexuel est un péché grave ». Même la CEF se fendait d'une réponse par communiqué, fustigeant aussi sur Twitter « certaines de ces vidéos qui dénaturent le message de l’Église » et alertant « sur le fait que leur succès d’audience ne signifie pas qu’elles soient justes. » C'est donc sans le prêtre le plus connu des réseaux que la communauté des influenceurs catholiques crée sa toile commune. Contacté, Père Matthieu n'a pas souhaité réagir.
Cependant, le tiktokeur veut apporter lui aussi sa pierre à l'édifice, à sa façon. Pour le début du carême, il a annoncé en grande pompe, son « Netflix de la foi ». Nommé Theostream, ce site, sans publicités et gratuit, héberge plus de 1 000 vidéos issues des chaînes YouTube d’influenceurs catholiques. Là aussi, le but est de regrouper leurs actions ainsi que de s’adresser aux jeunes.
Comme l’explique le Père Matthieu, ces vidéos doivent répondre aux questions des 18-35 ans sur une cinquantaine de thèmes à propos de la religion : de la prière à l’avortement, en passant par le surnaturel. La promesse est de garder l'offre la plus pluraliste possible « tant que ces personnes s’expriment dans la bienveillance » explique-t-il à Télérama. La plateforme offre finalement un patchwork idéologique qui met sur le même pied d'égalité des avis opposés même si, dans sa globalité, le discours reste conservateur. Par exemple, une seule des 10 vidéos sur l'avortement consultables au lancement du site décrit l’interruption volontaire de grossesse comme un droit essentiel pour les femmes.
Pour lancer un service de VOD chrétiennes ou un « road trip rencontres abonnés » comme le Frère Paul Adrien d’Hardemare, il faut mettre la main à la poche. Pour le Père Matthieu, le prix du lancement s’est fixé à 13 000 € selon Europe 1. Difficile de croire que leurs micro-rémunérations de prêtre (838 €/mois pour le Père Matthieu) soient suffisantes à financer de tels projets. Mais alors comment ? Le milieu de l'influence catholique attire les marques, comme les investisseurs, ce qui permet de financer de tels outils. Alors, les 13 000 € de TheoStream ont été récoltés grâce aux économies du prêtre, aux participations des abonnés sur Tipee et aussi à l’aide de mécènes.
Capture d'écran du site ThéoStream.
Des mannes financières qui expliquent la présence d'Emile Duport à la Nuit des influenceurs catholiques. Directeur exécutif de Progressif Media, une agence de communication catholique, il voit un potentiel financier important dans la religion en ligne. « Sur Internet, ils sont passionnés de religion. Il n'y a qu'à voir le nombre de chamans qui vendent des stages où tu vas laisser ton téléphone, tu vas faire un câlin à un arbre et tu vas payer 3 500 balles quoi. Les gens sont paumés, il y a une énorme soif. »
S'ils restent de micros-influenceurs, loin des millions de followers de Léna Situations ou Cyprien, l'activité est lucrative, à la surprise des premiers concernés. C'est le cas de Krikor, dit Kriks06, chauffeur poids-lourds et tiktokeur chrétien aux 97 000 abonnés qui cartonne en faisant de l'humour lié à la Bible. « Le nouveau système de monétisation de TikTok, c’est une dinguerie là. Tu fais 2-3 vidéos t’a 50-100 euros. Pour l’instant, c’est juste un complément de revenus. Mais je crois que je vais commencer à faire des vidéos de plus d’une minute », rigole-t-il.
Déjà, les partenariats abondent. Dans le cas de Krikor, il a notamment travaillé avec une marque de vêtements chrétiens, cette dernière ayant créé un code promo à diffuser auprès des followers du jeune Niçois qui, en contrepartie, doit recevoir 20 % des ventes. Pour gérer ces contrats en marge de son activité principale, Kriks06 a même été recruté par une agence d'influenceurs, TSP Agency. « Ils n'ont que des influenceurs dans mon genre et ils me trouvent des partenariats, ils s'occupent de tout ce qui relève des contrats » révèle-t-il. Cette dernière, « en stand-by » selon l'influenceur, n'a pas répondu.
Les influenceurs sont aussi très liés au milieu de la ChurchTech, ces applications lancées par les milieux de la bourgeoisie catholique comme Heavn, site de rencontre pour les adeptes de cette confession, ou Hozana réseau social de prière. C'est le cas notamment pour le Catho de service qui reçoit des demandes depuis le seuil de 1 000 abonnés. « À la base, c'est pour parler des petits carnets de prière, de petits bracelets avec une croix, des marques de vêtements chrétiennes… De plus en plus il y a des applications, des sites même qui me demandent des posts, des publications sur tel ou tel sujet et jusqu'à maintenant je ne demandais pas du tout à être payé » glisse-t-il. Aujourd'hui, il affirme que chaque post sponsorisé lui rapporte entre 50 et 200 €.
Une aubaine pour ces marques qui bénéficient alors d’une publicité hyper-ciblée pour presque rien. C’est ainsi que SAJE production, une boite de production de films chrétiens, a construit sa stratégie de communication. « Nous préférons ne pas faire de la pub directe sur notre site institutionnel » explique la société. Elle préfère des influenceurs « super motivés donc on est heureux de leur donner du contenu de film ou des extraits, ou de reposter leur story quand ils parlent de nos films ».
Différents Tipee d'influenceurs.
Si ces partenariats se développent, les influenceurs catholiques s'appuient, une fois n'est pas coutume, sur la quête. Ou plutôt sa déclinaison numérique : Tipee. Chaque influenceur, ou presque, a sa page sur la plateforme de financement participatif. Pour certains, les sommes sont dérisoires. Sœur Albertine Debacker touche par exemple 75 € par mois, le Catho de service, 25 €, ou le frère Benjamin 45 € par mois. Pour d'autres, les dons sont largement plus substantiels. Chaque mois, le Frère Paul Adrien d'Hardemare récolte presque 3 000 €, « l’essentiel de ses revenus » selon ce dernier qui affirme ne rapporter que 600 € par mois à son ordre. Ses partenariats ne sont que des « coups de pouce ». La SAJE production affirme que l’aide n’est pas financière « pour l’instant ». En contrepartie du travail des influenceurs, elle a par exemple aidé à organiser la Nuit des influenceurs : « Nous avons mobilisé notre carnet d’adresse pour inviter un large panel de médias. »
Le secteur est nouveau et son économie balbutiante. Le Frère Paul Adrien d'Hardemare peut payer son équipe de trois personnes (deux SMIC/horaire à mi-temps et un SMIC/horaire à temps partiel) mais il fait exception dans le microcosme. La plupart des influenceurs s'appuient largement sur une équipe de bénévoles. Pour son site, le Père Matthieu s’est appuyé sur une douzaine d’entre eux, tandis que le Catho de service, dont la chaîne est moins importante, bénéficie lui du soutien de deux monteurs. « Il n'y a pas d'argent mais au moins la satisfaction d'avoir fait rencontrer Dieu à des gens, de se dire que le travail a été utile » se justifie Victor, auto-entrepreneur déclaré, qui dit ne pas pouvoir lui-même se verser un salaire complet.
Selon Emile Duport, le modèle économique n’est pas encore viable, et n’est fondamentalement pas amené à le devenir. « Il n’y a pas d’influenceur religieux qui marche en France. Un prêtre doit mener au Christ, pas à lui. » Malgré son avis péremptoire, le communiquant cite des modèles qui marchent outre-atlantique : Father Mike ou Bishop Barron, 802 000 et 613 000 abonnés YouTube. À titre de comparaison, l’église de ce dernier, LACatholics possède 6 personnes dédiées aux contenus numériques, soit largement plus que n’importe quelle équipe française.
« Il n’y a pas d’influenceur religieux qui marche en France. »
Emile Duport
Pour autant, les caisses ne sont pas complètement vides. Soutien discret d'Eric Zemmour, le milliardaire Pierre-Edouard Sterin, qui a fait fortune dans les boîtes de cadeau Smartbox, s'intéresse de près au milieu via son œuvre caritative, le Fond du bien commun. Il dirige Otium Capital une société d'investissement qui gère 1,2 milliard d’euros d'actifs et dont les profits financent ses actions de charité liées à la droite intégriste. Affiché parmi les soutiens du Frère Paul-Adrien d’Hardemare, il a aussi participé à la levée de fonds de 500 000 € de l’application Hozana, l’un des principaux sponsors des vidéos du moine, et des autres influenceurs catholiques.
Tandis que Vincent Bolloré a déjà pris une participation de 8.75 % dans le capital de Progressif Média au travers de son groupe Vivendi en janvier 2022. « J'ai l'impression qu'une toile se tisse, assumée, qui dévoile peu à peu un réseau de militants catholiques ultras exerçant dans tout un tas de secteurs » réagit Raphaël Garrigos, rédacteur en chef du média Les Jours et auteur d'une « obsession », toujours en cours, de 190 articles sur les investissements de Vincent Bolloré. Catholique affirmé, l’homme d’affaires breton promeut la foi chrétienne traditionnelle à travers les médias qu’ils dirigent. Avec la retransmission de la messe de l’Assomption sur C8, les diffusions du film Unplanned, la série Chosen sur Canal +, l’émission En quête d’esprit sur CNews, toutes les antennes du groupe Vivendi sont utilisées.
Le directeur de Progressif Media est lui-même l’un des porte-drapeaux numérique de la droite catholique. En plus d’être le fondateur du groupe anti-IVG Les Survivants, Emile Duport est l’auteur des tracts de La Manif pour Tous inspiré de Mai 68 et de la reprise d’Edith Piaf en hymne anti-mariage gay.
Par ces biais, la bourgeoisie catholique s’intègre dans toutes les strates de l’écosystème et compte donner aux influenceurs catholiques les moyens de leurs ambitions dans leur quête d’évangélisation.