
À la conquête
du continent numérique
La Croix et l'Algorithme
artout c'est le même constat que je fais. Vous n'êtes pas assez fiers de votre religion.
Vous n'êtes pas assez fiers d'être fils de Dieu. Vous n'êtes pas assez fiers d'être catholiques au 21e siècle. » S'ils ont l'habitude de l'entendre derrière leur écran, c'est bien en chair et en os que le Frère Paul-Adrien d'Hardemare s’est présenté à ses fidèles ce soir du 12 février 2023. Le Youtubeur aux plus de 160 000 abonnés est une nouvelle voix qui porte dans l'Église catholique française. Pour rassembler sa communauté, le prêtre-influenceur n'a pas fait les choses à moitié : le couvent de l’Annonciation des Dominicains*, situé à deux rues des Champs-Élysées, a été réservé pour une grande messe qu’il officie. Si l'extérieur ne paye pas de mine et ressemble à n'importe quel immeuble du centre parisien, l'endroit est moderne et spacieux. L'immense fresque de Jésus surplombant l'autel donne le ton dès l'entrée dans la nef. Malgré la beauté du lieu, les participants ne sont pas là pour visiter. Tous sont venus spécialement pour le moine. « Ça fait trop bizarre de le voir en vrai » entend-on souffler sur les bancs de prière.
Pourtant, le jeune homme remuant à l'œil brillant et à l'humour toujours au point des vidéos, a laissé place à un quarantenaire au sourire crispé. Sa voix est lasse et son teint blafard, accentué par sa soutane verte. Le prêtre est malade ce jour-là, une crève attrapée lors de son « road-trip évangélique » dans le Loiret achevé le matin même. Pendant une semaine, il a sillonné les routes dans son van, visitant collèges, lycées et officiant chaque jour des aumôneries. On voit tout son épuisement causé par un calendrier « à peine humain ». Mais on ressent aussi l'aura qui entoure cet homme qui cultive une image de monsieur Tout-le-monde mais que personne ne regarde comme tel.
S'il est l'un des plus suivis, Frère Paul-Adrien d'Hardemare est loin d'être le seul influenceur catholique. Les prêcheurs du Web se multiplient sur les réseaux sociaux depuis deux ans. Le confinement, et la fermeture des lieux de cultes qu'il a entraînés, a décuplé l’impact de ces évangélisateurs 2.0 au travers des messes retransmises, des pèlerinages virtuels ou des webinaires sur la Foi. L'Église catholique s'est finalement emparé de l'outil numérique, forcée par le Covid-19, avec une méthode et un discours inchangés, construits sur un savoir-faire historique en propagande.
Bien que la liturgie* ne détonne pas d’une messe ordinaire, il y a bien un détail qui choque : l'église est pleine, pleine de jeunes. Cette tranche de la population que la religion catholique peine à convaincre, l'influenceur a réussi à en réunir près d'une centaine ce soir-là. Une présence qui atteste de l’impact du Dominicain, alors que seuls 3 % des 18-29 ans se déclaraient catholiques-pratiquants en 2018.
« C'est dans les gênes de l'Église de communiquer » affirme ainsi Robert Scholtus, curé de l'église Saint-Maximin de Metz. C'est bien la religion catholique qui est à l'origine du mot « propagande ». Du latin propaganda pour « propagation », c'est le pape de l'époque* qui a lancé le terme en 1622 et institutionnalisé la chose. Depuis, l'Église s'est attachée à s'approprier toutes les évolutions technologiques qui pourraient l'aider à propager sa doctrine. À son échelle, Robert Scholtus y a lui-même participé. L'homme d'Église prend plaisir à conter comment, dans les années 1980, il s'est emparé du Minitel en développant un numéro qui permettait au paroissien de connaître les actualités du diocèse.
L'Église s'est souvent imposée comme précurseure. À la télévision par exemple, le lancement du Jour du seigneur le 24 décembre 1948 en fait la plus vieille émission encore diffusée à ce jour sur le PAF, à l'exception du journal télévisé. On peut aussi citer le réseau Radio Chrétienne Francophone (RCF), vieux de 41 ans, qui compte encore aujourd'hui 64 stations locales et 600 000 auditeurs quotidiens.
Au contraire, l'institution a eu beaucoup plus de mal à prendre le virage du Web. Symbole de cet échec : le Pape. Novak Chistoph, co-leader d'un projet de recherche autrichien sur la pratique religieuse en ligne des jeunes, considère que le compte Instagram du Pape François « devrait avoir plus de followers par rapport au nombre de croyants dans le monde ». Seuls 9 millions des 2,5 milliards de chrétiens le suivent sur la plateforme. « Il n’est pas assez intéressant. Il n’y a pas d’engagement avec les followers, ni d’interactions, ni de storys. Ce sont juste des photos du Pape qui fait des trucs de pape » analyse-t-il.
Internet n'est pas pour autant ignoré par le Vatican. Au commencement, il y a le site du Saint-Siège, lancé dès 1995 par Jean-Paul II, alors que le Web n'en est qu'à sa préhistoire. Le pape que l'on surnomme « l'athlète de Dieu » traduit l'intérêt précoce de l'Église pour ce nouveau réseau et ce qu'il nomme « la nouvelle évangélisation ». Depuis, la rengaine revient dans la bouche de ses successeurs. Benoît XVI a appelé les jeunes catholiques à « évangéliser le continent numérique » tandis que François qualifie Internet de « don de Dieu qui facilite la communication entre les hommes ».
Face à l'appel du gotha de la religion, cette mission est prise à bras le corps par les croyants comme le souligne le journaliste Timothée de Rauglaudre. « Ce sont vraiment des acteurs individuels, des prêtres comme des laïcs, qui mettent leur compétence numérique au service de l'évangélisation, observe le spécialiste d’enquêtes sur la religion. Il n’y a pas de mandat ecclésiastique explicite. Tout est de leur propre initiative ». Le signe d'une politique globale à l'échelle de la chrétienté.
En France, cet élan prend d'abord la forme de blogs. Le plus connu d'entre eux, PadreBlog, lancé en 2014 a même fait figure de modèle pour des influenceurs qui se lanceront bien plus tard. Comme le Père Aymar de Langautier, prêtre dans la paroisse de Balma, dans la banlieue de Toulouse et instagrammeur suivi par près de 6 000 abonnés. « Pour nous, les papes de l'influence catho c'est le Padre Blog. C'est eux qui ont démocratisé la présence des prêtres dans les médias » reconnaît-il.
Les blogs ont laissé place aux réseaux sociaux et à la vidéo. Une transformation qui s'est opérée récemment dans la sphère catholique. « Il y a trois ans, il n'y avait pas grand monde [sur les réseaux sociaux] » rapporte le prêtre toulousain.
La religion catholique perd des adeptes chaque année en France. Une érosion qui s'accentue même avec le temps. Selon l'enquête Arval sur les valeurs des Français, la France a vu la part des catholiques être divisée par deux depuis 1981. En 2018, ils n'étaient plus que 32.2 % à s'en revendiquer. Une sorte de crise de la pratique religieuse s'est installée. D'après un sondage Ifop rapporté par La Croix, 80 % de la population française serait baptisée. Mais seuls 3 % des baptisés allaient à la messe chaque semaine. A contrario, près de la moitié de ces baptisés se disent non-croyants. Autant de « brebis égarées » que les influenceurs cherchent à rattraper.
Pour le spécialiste de la sociologie du catholicisme Yann Raison du Cleuziou, cette absence sur les bancs de l’église s’explique par le fait que « le catholicisme français est devenu une réalité festive ». La pratique des croyants a majoritairement lieu lors des événements religieux comme le baptême, le mariage, l’enterrement et lors des grandes fêtes comme Noël. Des propos qui valent notamment pour la jeunesse selon Robert Scholtus : « La pratique religieuse des jeunes, elle est ponctuelle. On ne peut pas dire qu'il y ait une vraie pratique. »
Le Frère Paul Adrien d'Hardemare bénissant un couple à la fin de la messe.
Toujours est-il qu’en France, seuls 7 % des jeunes chrétiens se rendent hebdomadairement à la messe. C'est pourquoi le Frère Paul Adrien d'Hardemare prend des dispositions toutes particulières pour ses jeunes abonnés qui découvrent le rituel dominical. « D'une certaine manière, la messe qu'on propose ici est faite pour eux, affirme le prêtre, donc on les prend par la main, on les bichonne. » Un fascicule expliquant le déroulé de la cérémonie et un cahier de chants liturgiques était proposé gratuitement à tous les adeptes à l'entrée du couvent des Dominicains.
De la même façon, d'autres comme Aymar de Langautier visent particulièrement cette cible adolescente et profane, ou presque. C'est tout le sens de sa vidéo en collaboration avec Tibo Inshape, sortie le 22 décembre 2020, comme il l'explique. « Pour moi le but, c'était de montrer le quotidien d'un prêtre pour casser certaines idées reçues et toucher l'audimat de Tibo Inshape. Je me disais que c'est un bon moyen d'atteindre tous les collégiens, car ils savent tous qui est Tibo. »
« 2023 sera l’année qui inversera les statistiques, ça sera la première année avec plus de croyants que l’année précédente »
Paul Adrien d'Hardemare
Et le succès est au rendez-vous avec plus de 1,2 million de vues et un clergé heureux de l'opération. « J’ai reçu de beaux messages de prêtres que j'apprécie mais aussi beaucoup que je ne connaissais pas. Je n'ai jamais reçu un seul message de haine » se félicite le toulousain. Face à la popularité grandissante des influenceurs et de leur impact, en ligne comme hors ligne, la question se pose : peuvent-ils inverser les statistiques et augmenter le nombre de pratiquants ? Le Frère Paul-Adrien d’Hardemare en est convaincu. « 2023 sera l’année qui inversera les statistiques, ça sera la première année avec plus de croyants que l’année précédente. » Ce dernier en fait sa mission. Pour le prêtre, « si L'Église va mal, cela veut surtout dire que l’Église est en guerre, cela fait 2 000 ans qu'elle est en guerre. Alors rejoignez le front de bataille ! » exhorte-t-il ses abonnés.